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DE LA SAGESSE,


ne sçauroit dire. Au bout du compte rien ne le contente, se fasche [1] et s’ennuye de soy-mesme.

Sa foiblesse est encore plus grande au jouyr et user des choses, et ce en plusieurs manieres ; premierement en ce qu’il ne peut manier et se servir d’aucune chose en sa pureté et simplicité naturelle. Il les faut desguiser, alterer, et corrompre, pour l’accommoder à nostre main : les elemens, les metaux, et toutes choses en leur naturel, ne sont propres à nostre usage ; les biens, les voluptés et plaisirs, ne se peuvent laisser jouir sans meslange de mal et d’incommodité :

... Medio de fonte leporum,
Surgit amari aliquid, quod in ipsis floribus angat[2].


L’extresme volupté a un air de gemissement et de plaincte ; estant venue à sa perfection, c’est foiblesse, defaillance, langueur : un extresme et plein contentement a plus de severité rassise que de gayeté enjouée : ipsa felicitas se, nisi temperat, premit [3]. D’où disoit un ancien que Dieu nous vend [4] tous les biens qu’il nous envoye, c’est-à-dire qu’il ne nous en donne

  1. Pour il se fâche.
  2. « De la source même des plaisirs, il émane quelque chose d'amer ; et meme sous des couronnes de fleurs, on se sent inquiet, oppressé ». Lucr.
  3. « Le bonheur se nuit à lui-meme s'il ne se modère ».
  4. Rousseau a dit de même, Ode I. L. III :

    Le ciel nous vend toujours les biens qu'il nous prodigue.