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DE LA SAGESSE,


combien de vanteries et de vaines jactances ? L’on cherche et se plaist-on tant à parler de soy, et de ce qui est sien, si l’on croit avoir faict ou dict, ou posseder quelque chose que l’on estime ; l’on n’est point à son aise, que l’on ne le fasse sçavoir ou sentir aux autres. A la premiere commodité l’on la conte, l’on la faict valoir, l’on l’encherit ; voire l’on n’attend pas la commodité, l’on la cherche industrieusement. De quoy que l’on parle, nous nous y meslons tousjours avec quelque advantage : nous voulons que l’on nous sente, que l’on nous estime, et tout ce que nous estimons.

Mais pour monstrer encore mieux combien l’inanité a de credit et d’empire sur la nature humaine, souvenons-nous que les plus grands remuemens du monde, les plus generales et effroyables agitations des estats et des empires, armées, batailles, meurtres, procez et querelles, ont leurs causes bien legeres, ridicules et vaines, tesmoins les guerres de Troye et de Grece, de Sylla et Marius, d’où sont ensuivies celles de Cesar, Pompée, Auguste et Antoine. Les poëtes ont bien signifié cela, qui ont mis pour une pomme la Grece et l’Asie à feu et à sang : les premiers ressorts et motifs sont de néant, puis ils grossissent, tesmoins de la vanité et folie humaine. Souvent l’accident faict plus que le principal, les circonstances menues piquent et touchent plus vivement que le gros de la chose et le subject mesmes. La robe