Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/298

Cette page n’a pas encore été corrigée
242
DE LA SAGESSE,


les plus fermes et asseurés, s’ils ne se tiennent sur leurs gardes, tant est puissante la vanité sur l’homme. Et non-seulement les choses petites et legeres nous secouent et agitent, mais encore les faussetés et impostures, et que nous sçavons telles (chose estrange), de façon que nous prenons plaisir à nous piper nous mesmes à escient, nous paistre de fausseté et de rien, Ad fallendum nosmetipsos ingeniosissimo sumus [1]  : tesmoin ceux qui pleurent et s’affligent à ouir des contes, et à voir des tragedies, qu’ils sçavent estre inventées et faictes à plaisir, et souvent des fables, qui ne furent jamais : diray-je encore, de tel qui est coiffé et meurt après une qu’il sçait estre laide, vieille, souillée, et ne l’aymer point, mais pource qu’elle est bien peincte, et plastrée, ou caqueteresse [2] , ou fardée d’autre imposture, laquelle il sçait, et recognoist tout au long et au vray.

Venons du particulier de chascun à la vie commune, pour voir combien la vanité est attachée à la nature humaine, et non-seulement un vice privé et personnel. Quelle vanité et perte de temps aux visites, salutations, accueils et entretiens mutuels, aux offices de courtoisie, harangues, ceremonies, aux offres, promesses, louanges ? Combien d’hyperboles, d'hy-

  1. « Nous sommes très-ingénieux à nous tromper nous-mêmes ».
  2. Caqueteuse, babillarde.