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DE LA SAGESSE,


des choses lors que ne serons plus. Nous desirons estre louez après nostre mort ; quelle plus grande vanité ! Ce n’est pas ambition, comme l’on pourroit penser, qui est un desir d’honneur sensible et perceptible : si ceste louange de nostre nom peut accommoder et servir en quelque chose à nos enfans, parens, et amis survivans ; bien soit, il y a de l’utilité. Mais desirer comme bien une chose qui ne nous touchera point, et dont n’en sentirons rien, c’est pure vanité, comme de ceux qui craignent que leurs femmes se marient après leur decez, desirent avec grande passion qu’elles demeurent vefves, et l’acheptent bien cherement en leurs testamens, leur laissans une grande partie de leurs biens à ceste condition. Quelle folle vanité, et quelques fois injustice ! C’est bien au rebours de ces grands hommes du temps passé, qui mourans exhortoient leurs femmes à se remarier tost, et engendrer des enfans à la republique. D’autres ordonnent que, pour l’amour d’eux, on porte telle et telle chose sur soy, ou que l’on fasse telle chose à leur corps mort : nous consentons peust-estre d’eschapper à la vie, mais non à la vanité.

Voyci une autre vanité, nous ne vivons que par relation à autruy : nous ne nous soucions pas tant quels nous soyons en nous, en effect et en verité, comme quels nous soyons en la cognoissance publique ; tellement que nous nous defraudons [1] sou-

  1. Nous nous fraudons, frustrons.