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DE LA SAGESSE,


du nais, que Tymon [1] le hayneux et fuyard des hommes. Pindare l’a exprimé plus au vif que tout autre, par les deux plus vaines choses du monde, l’appellant songe de l’ombre, σκιάς όνειρο άνθρωπος [2]. C’est ce qui a poussé les sages à un si grand mespris des hommes ; dont leur estant parlé de quelque grand dessein et belle entreprinse, la jugeant telle, souloient [3] dire, que le monde ne valoit pas que l’on se meist en peine pour luy, (ainsi respondit Statilius à Brutus luy parlant de la conspiration contre Cesar) que le sage ne doit rien faire que pour soy, que ce n’est raison que les sages et la sagesse se mettent en danger pour des sots.

Ceste vanité se demonstre et tesmoigne en plusieurs manieres ; premierement en nos pensées et entretiens privez, qui sont bien souvent plus que vains, frivoles et ridicules : ausquels toutesfois nous consommons grand temps, et ne le sentons point. Nous y entrons, y sejournons et en sortons insensiblement, qui est bien double vanité, et grande inadvertence de soy. L’un, se promenant en une salle, regarde à compasser ses pas d’une certaine façon sur les carreaux ou tables du plancher : Cest [4] autre discourt en son esprit lon-

  1. Sous-entendu : mieux aussi que Timon le Misanthrope.
  2. « L'homme est le songe de l'ombre ».
  3. Avaient coutume ; de solebant.
  4. La première édition, et celle de Bastien, qui en est la