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XXXIII
PRÉFACE.


et relevée par dessus le commun et ordinaire, soit en bien ou en mal : car il se prend et usurpe (peut-estre improprement) en toutes les deux façons : sapientes sunt ut faciant mala [1] : et ne

    moderement en toutes choses, ignorant cependant et mescognoissant soy-mesme, et l’humaine condition , ce qu’il a et ce qu’il n’a pas ; il ne seroit pourtant sage, veu que sagesse n’est pas sans cognoissance, sans discours, et sans estude. L’on n’accordera pas peut-estre cette proposition : car il semble bien que l’on ne peut reiglement et constamment secomporter par-tout sans se cognoistre, et suis de cet advis. Mais je dis que , combien qu’ils aillent inséparablement ensemble, si ne laissent-ils d’estre deux choses distinctes : dont il les faut séparément exprimer en là description de sagesse, comme ses deux offices, dont se cognoistre est le premier, et est dit le commencement de sagesse. Parquoy nous disons sage, celuy qui cognoissant bien ce qu’il est, son bien et son mal, combien et jusques où nature l’a estrené et favorisé et où elle lui a deffailly, estudie par le benefice de la philosophie, et par l’effort de la vertu, à corriger et redresser ce qu’elle luy a donné de mauvais, reveiller et roidir ce qui est de foible et languissant, faire valoir ce qui est bon, adjouter ce qui deffaut, et tant que faire se peut la secourir ; et par tel estude se regle et conduict bien en toutes choses.

    Suivant cette briefve declaration, nostre dessein en cet œuvre de trois livres est premièrement enseigner l’homme à se bien cognoistre, et l’humaine condition, le prenant en tout sens, et regardant à tous visages ; c’est au premier livre : puis l’instruire à se bien regler et modérer en toutes choses ; ce que

  1. « Ils ne sont sages que pour faire le mal ». Jérémie, chap. VI, v. 22.