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LIVRE I, CHAPITRE XXXVI.


dissolution, intemperance, et tout desreiglement de mœurs, comme a esté dict et monstré cy-dessus en la comparaison de luy avec les bestes ; tellement que, comme je demandois tantost à quoy serviroit une plus longue vie, maintenant je dis : et quels maux au monde si la vie de l’homme estoit fort longue ? Que n’entreprendroit-il, puis que la brefveté qui luy coupe le chemin et luy rompt le dé, comme l’on dict, et l’incertitude d’icelle qui oste tout courage, ne le peust arrester, vivant comme s’il avoit tousiours à vivre ? Il craint bien d’une part se sentant mortel ; mais il ne se peust tenir de convoiter, esperer, entreprendre comme s’il estoit immortel : Tanquam sentper victuri vivitis, numquam vobis fragilitas vestra succurrit : omnia tanquam mortales timetis, tanquam immortales concupiscitis [1]. Et puis, qu’a besoin nature de toutes ces belles et grandes entreprinses et occupations pour lesquelles tu penses t’appartenir une plus longue vie qu’ à tous animaux ? Il n’y a donc poinct de subject à l’homme de se plaindre, mais bien de se courroucer contre luy : nous avons assez de vie, mais nous n’en sommes pas bons mesnagers ; elle n’est pas courte, mais nous la faisons : nous n’en sommes pas necessiteux, mais prodigues, non inopes vitæ, sed

  1. « Vous vivez comme si vous deviez toujours vivre, vous ne songez jamais à votre fragilité ; comme mortels, vous craignez tout, vous désirez tout comme si vous étiez immortels », Senec.