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DE LA SAGESSE,


mesmes choses ne font que reculer et s’approcher, c’est tousiours recommencer et retistre [1] mesme ouvrage [2]. Pour y apprendre et profiter davantage, et parvenir à plus ample cognoissance et vertu ? O les bonnes gens que nous sommes, qui ne nous cognoistroit ; nous mesnageons très mal ce que l’on nous baille, et en perdons la pluspart, l’employant non seulement à vanité et inutilité, mais à malice et au vice, et puis nous allons crier et nous plaindre que l’on ne nous en baille pas assez. Et puis que sert ce tant grand amas de science et d’experience, puis qu’il en faut enfin desloger, et, deslogeant, tout à coup oublier et perdre tout, ou bien mieux et autrement sçavoir tout ? Mais, dis-tu, il y a des animaux qui triplent et quadruplent la vie de l’homme. Je laisse les fables qui sont en cela : mais soit ainsi ; aussi y en a-t-il, et en plus grand nombre, qui n’en approchent pas, et ne vivent le quart de l’homme, et peu y en a-t-il qui arrivent à son terme. Par quel droict, raison, ou privilege, faut-il que l’homme vive plus long-temps que tous ? Pource qu’il employe mieux et à choses plus hautes et plus dignes sa vie ? Par ceste raison il doibt moins vivre que tous ; il n’y a point de pareil à l’homme à mal employer sa vie en meschanceté, ingratitude,

  1. Retresser, retisser (recommencer le tissu).
  2. Sous-entendez ici ce qui est dit plus haut : « que servirait une plus longue vie ? » Serait-ce pour, etc.