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DE LA SAGESSE,


qu’importe quand je n’eusse jamais esté ? On luy peust repliquer : où seroit le bien qui en est venu ? Et n’estant advenu, ne fust-ce pas esté mal ? C’est espece de mal que faute de bien, quel qu’il soit, encore que non necessaire : ces extremitez sont trop extremes et vicieuses, bien qu’inegalement : mais semble-il bien vray ce qu’a dict un sage, que la vie est un tel bien que personne n’en voudroit si l’on estoit bien adverty que c’est [1], avant la prendre : Vitam nemo acciperet si daretur scientibus [2]. Bien va que l’on y est dedans avant qu’en voir l’entrée ; l’on y est porté tout aveugletté [3]. Or se trouvant dedans, les uns s’y accoquinent si fort, qu’ à quelque prix que ce soit ils n’en veulent pas sortir ; les autres ne font que gronder et se despiter : mais les sages voyant que c’est un marché qui est faict sans eux (car l’on ne vit ny l’on ne meurt pas quand ny comme l’on veust), que, bien qu’il soit rude et dur, ce n’est toutesfois pour tousjours ; sans regimber et rien troubler, s’y accommodent comme ils peuvent, et s’y conduisent tout doucement, faisant de necessité vertu, qui est le traict de sagesse et habileté, et, ce faisant, vivent autant qu’ils doivent, et non pas tant qu’ils peuvent, comme les sots ; car il

  1. De ce que c'est.
  2. « Personne n'accepterait la vie, si on savait ce qu'elle est, avant de la recevoir ». Senec.
  3. A l'aveuglette.