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LIVRE I, CHAPITRE XXXVI.


racheter et l’allonger de quelque delay, à toutes les conditions que l’on voudra, pensant qu’elle ne sçauroit estre trop cherement achetée ; car c’est tout : c’est son mot, vita nihil carius [1]; il estime et ayme la vie pour l’amour d’elle-mesme, il ne vist que pour vivre. Ce n’est merveille s’il faut [2] en tout le reste, et s’il est tout confit en erreurs, puis que, dès l’entrée et en ce premier poinct fondamental, il se mescompte si lourdement. Elle pourroit bien aussi estre trop peu estimée par insuffisance ou orgueilleuse mescognoissance ; car tombant en bonnes et sages mains, elle peust estre instrument très utile à soy et à autruy. Et ne puis estre de cest advis prins tout simplement, qui dict qu’il est très bon de n’estre poinct, et que la meilleure vie est la plus courte : optimum non nasci aut quàm citissimè aboleri [3] Et n’est assez ny sagement dict, quel mal et

  1. « Rien n'est plus cher que la vie ».
  2. S'il erre. Faut, du verbe faillir.
  3. « Le plus avantageux est de ne pas naitre, ou de mourir le plus tôt possible ». — Cette maxime était célèbre parmi les anciens. Théogonide la renferma en quatre vers grecs, et Ausone dans ce seul vers latin :
    Non nasci esse bonum, aut natum citò morte potiri.
    On la trouve dans l'Œdipe à Colonne de Sophocle, où le Chœur dit au premier acte : « le premier de tous les avantages est de ne pas naitre, et le second de renter aussitôt dans le néant d'où il est sorti ». Épicure blâmait fort le prétendu sage qui en était l'auteur.