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DE LA SAGESSE,


en eschange est-il subject à mille maux, dont les bestes n’en tiennent rien : inconstance, irresolution, superstition, soin penible des choses à venir, ambition, avarice, envie, curiosité, detraction, mensonge, un monde d’appetits desreiglés, de mescontentemens et d’ennuis. Cet esprit, dont l’homme faict tant de feste, luy apporte un million de maux, et plus lors qu’il s’agite et s’efforce. Car non-seulement il nuict au corps, trouble, rompt et lasse la force et les fonctions corporelles, mais encore soy-mesme s’empesche. Qui jette les hommes à la folie, à la manie, que la poincte, l’agilité et la force propre de l’esprit ? Les plus subtiles folies et excellentes manies viennent des plus rares et vives agitations de l’esprit, comme des plus grandes amitiés naissent les plus grandes inimitiés ; et des santés vigoureuses, les mortelles maladies. Les melancholiques, dict Platon, sont plus capables de science et de sagesse ; mais aussi de folie. Et qui bien regardera, trouvera qu’aux elevations et saillies de l’ame libre il y a quelque grain de folie ; ce sont à la verité choses fort voisines [1].

Pour simplement vivre bien selon nature, les bestes sont de beaucoup plus advantagées, vivent plus libres, asseurées, moderées, contentes. Et l’homme est sage qui les considere, qui s’en faict leçon et son

  1. Helvétius a très-bien démontré cette verité, dans son livre, de l'Esprit.