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LIVRE I, CHAPITRE XXXV.


retranchées et baillées chetifves et foibles pour leur grand bien et repos, et données à l’homme pour son grand tourment : car par icelles il s’agite et travaille, se fasche du passé, s’estonne et se trouble pour l’advenir ; voire il imagine, apprehende et craint des maux qui ne sont et ne seront point. Les animaux n’apprehendent le mal que lors qu’ils le sentent : estans eschappés sont en pleine seureté et repos. Voilà comment l’homme est le plus miserable, par où l’on le pensoit plus heureux : dont il semble qu’il eust mieux valu à l’homme n’estre point doué et garni de toutes ces belles et celestes armes, puisqu’il les tourne contre soy à son mal et à sa ruyne. Et de faict nous voyons que les stupides et foibles d’esprit vivent plus en repos, et ont meilleur marché des maux et accidens, que les fort spirituels.

Un autre advantage que l’homme pretend sur les bestes, est une seigneurie et puissance de commander, qu’il pense avoir sur les bestes : mais outre que c’est un advantage que les hommes mesmes ont et exercent les uns sur les autres, encore cecy n’est-il pas vray. Car où est ce commander de l’homme, et cest obeyr des bestes ? C’est une chimere [1] ; et les hommes craignent plus les bestes, qu’elles ne font les hommes.

  1. Les objections sont bien faibles, et il me semble entendre J.J. Rousseau, qui a souvent copié Charron, prendre également parti contre la civilisation de l'homme.