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LIVRE I, CHAPITRE XXXV.


passent en cet endroict, nous en surpassons plusieurs autres. L’usage du manger est aussi en eux et en nous tout naturel et sans instruction. Qui doubte qu’un enfant arrivé à la force de se nourrir, ne sceust quester sa nourriture ? Et la terre en produict et luy en offre assez pour sa necessité, sans autre culture et artifice, tesmoins tant de nations, qui, sans labourage, industrie et soin aucun, vivent plantureusement [1] . Quant au parler, l’on peust bien dire que s’il n’est point naturel, il n’est point necessaire : mais il est commun à l’homme avec tous animaux. Qu’est-ce autre chose que parler, cette faculté que nous leur voyons de se plaindre, se resjouïr, s’entr’appeller au secours, se convier à l’amour ? Et comme nous parlons par gestes et mouvement des yeux, de la teste, des mains, des espaules (en quoy se font sçavans les muets), aussi font les bestes, comme nous voyons en celles qui n’ont pas de voix, lesquelles toutesfois s’entrefont des offices mutuels ; et comme à certaine mesure les bestes nous entendent, aussi nous les entendons. Elles nous flattent, nous menacent, nous requierent, et nous elles. Nous parlons à elles, et elles à nous ; et si nous ne nous entr’entendons parfaictement, à qui tient-il ? à elles ou à nous ? C’est à deviner. Elles nous peuvent bien estimer bestes par ceste raison, comme nous elles : mais encore

  1. Abondamment.