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DE LA SAGESSE,


que l’homme est le seul animal disgracié de nature, abandonné, nud sur la terre nue, sans couverts, sans armes, lié, garotté, sans instruction de ce qui luy est propre ; là où tous les autres sont revestus de coquilles, gousses, escosses, poils, laine, bourre, plumes, escailles ; armés de grosses dents, cornes, griffes, pour assaillir et deffendre ; instruicts à nager, courir, voler, chanter, chercher sa pasture ; et l’homme ne sçait cheminer, parler, manger, ny rien que pleurer sans apprentissage et peine. Toutes ces plainctes, qui regardent la composition premiere et condition naturelle, sont injustes et fausses : nostre peau est aussi suffisamment pourveuë contre les injures du temps que la leur, tesmoins plusieurs nations (comme a esté dict) qui n’ont encore sceu que c’est que vestemens : et nous tenons aussi descouvertes les parties qu’il nous plaist, voire les plus tendres et sensibles, la face, la main, l’estomach ; les dames mesmes delicates, la poictrine. Les liaisons et emmaillotemens ne sont point necessaires, tesmoin les Lacedemoniens, et maintenant les Suisses, Allemans, qui habitent les pays froids, les Basques et les Vagabonds qui se disent Egyptiens. Le pleurer est aussi commun aux bestes : la pluspart des animaux se plainct, gemist quelque temps après leur naissance. Quant aux armes, nous en avons de naturelles, et plus de mouvemens des membres, et en tirons plus de service naturellement et sans leçon. Si quelques bestes nous sur-