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LIVRE I, CHAPITRE XXXIV.


ne peust estre plaisante, si l’on crainct de mourir. Le bien, disoit un ancien, ne peust apporter plaisir, sinon celuy à la perte duquel l’on est preparé.

C’est aussi une estrange passion, indiscrete et inconsiderée ; elle vient aussi souvent de faute de jugement que de faute de cœur : elle vient des dangers, et souvent elle nous jette dedans les dangers ; car elle engendre une faim inconsiderée d’en sortir, et ainsi nous estonne, trouble, et empesche de tenir l’ordre qu’il faut pour en sortir ; elle apporte un trouble violent, par lequel l’ame effrayée se retire en soy-mesme, et se debat pour ne voir le moyen d’esviter le danger qui se presente. Outre le grand descouragement qu’elle apporte, elle nous saisist d’un tel estonnement que nous en perdons le jugement, et ne se trouve plus de discours en nous, nous faict fuyr sans qu’aucun nous poursuyve, voire souvent nos amis et le secours : adeò pavor etiam auxilia formidat [1]. Il y en a qui en sont venus insensés : voire mesme les sens n’ont plus leur usage ; nous avons les yeux ouverts, et n’en voyons pas ; on parle à nous, et nous n’escoutons pas ; nous voulons fuyr, et ne pouvons marcher.

La mediocre nous donne des aisles aux talons ; la plus grande nous cloue les pieds, et les entrave. Ainsi la peur renverse et corrompt l’homme entier et l’es-

  1. « Tant la peur redoute même les secours ».