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LIVRE I, CHAPITRE XXXIV.


vance les maux dont la fortune nous menace. Nous ne parlons ici de la crainte de Dieu, tant recommandée en l'ecriture, ni mesme de toute celle qui vient d'amour, et est un doux respect envers la chose aymée, louable aux subjects, et tous inférieurs envers leurs supérieurs ; mais de la vicieuse qui trouble et afflige, qui est l'engeance de pesché, besongne de la honte, toutes deux d'une ventrée, sorties du maudit et clandestin mariage de l'esprit humain, avec la persuasion diabolique : timui eò quòd nudus essem, et abscondi me [1].

C’est une passion faulse et malicieuse, et ne peust rien sur nous qu’en nous trompant et seduisant ; elle se sert de l’advenir où nous ne voyons goutte, et nous jette là dedans comme dedans un lieu obscur, ainsi que les larrons font la nuict, affin d’entreprendre sans estre recognus, et donner quelque grand effroy avec peu de subject ; et là elle nous tourmente avec des masques de maux, comme l’on faict des fées aux petits enfans ; maux qui n’ont qu’une simple apparence, et n’ont rien en soy pour nous nuire, et ne sont maux que pource que nous les pensons tels. C’est la seule apprehension que nous en avons qui nous rend mal ce qui ne l’est pas, et tire de nostre bien mesme

  1. « J'ai craint parce que j'étais nu, et je me suis caché ». Gen. ch. III, v. 10.