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LIVRE I, CHAPITRE XXXII.


qui, pour nous ennuyer, nous represente les choses qui nous tourmentent, ou plustost qu’elles ne doibvent, mais par anticipation, crainte et apprehension de l’advenir ; ou plus qu’elles ne doibvent.

Mais elle est bien contre nature, puis qu’elle enlaidist et efface tout ce que nature a mis en nous de beau et d’aymable, qui se fond à la force de ceste passion, comme la beauté d’une perle se dissoult dedans le vinaigre : c’est pitié lors que de nous voyr ; nous nous en allons la teste baissée, les yeux fichés en terre, la bouche sans parole, les membres sans mouvemens, les yeux ne nous servent que pour pleurer ; et diriez que nous ne sommes rien que des statues suantes, et comme Niobé, que les poëtes disent avoir esté convertie en pierre par force de pleurer.

Or elle n’est pas seulement contraire et ennemie de nature, mais elle s’attaque encore à Dieu ; car qu’est-elle autre chose qu’une plaincte temeraire et outrageuse contre le seigneur de l’univers, et la loy commune du monde, qui porte que toutes choses qui sont soubs le ciel de la lune sont muables et perissables ? Si nous sçavons ceste loy, pourquoy nous tourmentons-nous ? Si nous ne la sçavons, de quoy nous plaignons-nous, sinon de nostre ignorance de ne sçavoir ce que nature a escrit par tous les coings du monde ? Nous sommes icy, non pour donner la loy, mais pour la recevoir, et suyvre ce que nous y