Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/248

Cette page n’a pas encore été corrigée
192
DE LA SAGESSE,


beaux deniers comptans chez autruy ; tellement que, pour bien satisfaire à ceste opinion, faut entrer en grande despense, de laquelle nature, si nous la voulions croire, nous deschargeroit volontiers. Est-ce pas volontairement et tout publiquement trahir la raison, forcer et corrompre la nature, prostituer sa virilité, et se mocquer du monde et de soy-mesme, pour s’asservir au vulgaire, qui ne produict qu’erreur, et n’estime rien qui ne soit fardé et desguisé ? Les autres tristesses particulieres ne sont non plus de la nature, comme il semble à plusieurs ; car si elles procedoient de la nature, elles seroient communes à tous hommes, et les toucheroient à peu près tous egalement : or nous voyons que les mesmes choses qui attristent les uns resjouissent les autres ; qu’une province et une personne rit de ce dont l’autre pleure ; que ceux qui sont près des autres qui se lamentent, les exhortent à se resouldre et quitter leurs larmes. Escoutez la pluspart de ceux qui se tourmentent, quand vous avez parlé à eux, ou qu’eux-mesmes ont prins le loisir de discourir sur leurs passions, ils confessent que c’est folie que de s’attrister ainsi ; et loueront ceux qui, en leurs adversités, auront faict teste à la fortune, et opposé un courage masle et genereux à leurs afflictions. Et il est certain que les hommes n’accommodent pas leur deuil à leur douleur, mais à l’opinion de ceux avec lesquels ils vivent ; et si l’on y regarde bien, l’on remarquera que c’est l’opinion