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LIVRE I, CHAPITRE XXXII.

Or premierement tant s’en faut qu’elle soit naturelle comme elle veust faire croire, qu’elle est partie formelle et ennemie de la nature ; ce qui est aisé à monstrer. Quant aux tristesses ceremonieuses et deuils publics tant affectez et practiquez par les anciens, et encore à present presque par-tout, quelle plus grande imposture et plus vilaine happelourde [1] pourroit-on trouver par-tout ailleurs ? Combien de feinctes et mines contrefaictes et artificielles, avec coust et despense, et en ceux-là à qui le faict touche et qui jouent le jeu, et aux autres qui s’en approchent et font les officieux ? Mais encore pour accroistre la fourbe [2], on loue des gens pour venir pleurer et jetter des cris et des plainctes qui sont, au sceu de tous, toutes feinctes et extorquées avec argent : larmes qui ne sont jettées que pour estre veues, et tarissent sitost qu’elles ne sont plus regardées ; où est-ce que nature apprend cela ? Mais qu’est-ce que nature abhorre et condamne plus ? C’est l’opinion (mere nourrice, comme dict est, de la pluspart des passions) tyrannique, faulse et populaire, qui enseigne qu’il faut pleurer en tel cas. Et si l’on ne peust trouver des larmes et tristes mines chez soy, il en faut acheter à

  1. Chose qui n'attrape et ne trompe que les lourdaurds.
  2. La fourberie.