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LIVRE I, CHAPITRE XXX.


et de crainte ; se venger c’est le battre, le faire bouquer [1], et non pas l’achever ; le tuant, l’on ne lui faict pas ressentir son courroux, qui est la fin de la vengeance. Voilà pourquoy l’on n’attaque pas une pierre, une beste, car elles sont incapables de gouster nostre revanche. En la vraye vengeance il faut que le vengeur y soit pour en recevoir du plaisir ; et le vengé pour sentir et souffrir du desplaisir et de la repentance. Estant tué il ne s’en peust repentir, voire il est à l’abry de tout mal, ou au rebours le vengeur est souvent en peine et en crainte. Tuer donc est tesmoignage de couardise et de crainte que l’offensé se ressentant du desplaisir, nous recherche de pareille : l’on s’en veust defaire du tout ; et ainsi c’est quitter la fin de la vengeance, et blesser sa reputation ; c’est un tour de precaution, et non de courage ; c’est y proceder seurement, et non honorablement. Qui occidit longè non ulciscitur, nec gloriam assequitur [2].

Advis et remedes particuliers contre ce mal sont liv. III, chap. XXXIV.

  1. Le faire bisquer, prendre la chèvre (la bique) ; ce qui prouve que bouquer vient de bouc, comme bisquer vient de bique. Ce mot est donc mal expliqué dans le Glossaire de la langue romane, par gronder, bouder, murmurer, embrasser avec force ; il ne vient pas de bucca, bouche, comme il est dit dans ce glossaire.
  2. « Celui qui tue ne savoure pas longuement la vengeance, et n'acquiert pas la gloire ».