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DE LA SAGESSE,


Alexandre, Caesar, Epaminondas, Scipion, ont esté si eslongnés de vengeance, qu’au contraire ils ont bien faict à leurs ennemis.

Secondement elle est cuisante et mordante, comme un ver qui ronge le cœur de ceux qui en sont infectez, les agite de jour, les resveille de nuict.

Elle est aussi pleine d’injustice, car elle tourmente l’innocent, et adjouste affliction. C’est à faire à celuy qui a faict l’offense de sentir le mal et la peine que donne au cœur le desir de vengeance ; et l’offensé s’en va charger, comme s’il n’avoit pas assez de mal de l’injure ja receue ; tellement que souvent et ordinairement, cependant que cettuy-ci se tourmente à chercher les moyens de la vengeance, celuy qui a faict l’offense rit et se donne du bon temps. Mais elle est bien plus injuste encore aux moyens de son execution, laquelle souvent se faict par trahisons et vilains artifices.

Finalement l’execution, outre qu’elle est penible, elle est très dangereuse ; car l’experience nous apprend que celuy qui cherche à se venger, il ne faict pas ce qu’il veust, et son coup ne porte pas ; mais ordinairement il advient ce qu’il ne veust pas, et, pensant crever un œil à son ennemy, il se creve tous les deux ; le voilà en crainte de la justice et des amis de sa partie, en peine de se cacher et fuyr de lieu en autre.

Au reste, tuer et achever son ennemy ne peust estre vengeance, mais pure cruauté qui vient de couardise