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DE LA SAGESSE,


pires. Cette passion ressemble proprement aux grandes ruines, qui se rompent sur ce sur quoy elles tombent ; elle desire si violemment le mal d’autruy, qu’elle ne prend pas garde à esviter le sien ; elle nous entrave et nous enlace, nous faict dire et faire choses indignes, honteuses et messeantes. Finalement elle nous emporte si outrement, qu’elle nous faict faire des choses scandaleuses et irreparables, meurtres, empoisonnemens, trahisons, dont après s’ensuivent de grands repentirs ; tesmoin Alexandre-Le-Grand, après avoir tué Clytus, dont disoit Pythagoras, que la fin de la cholere estoit le commencement du repentir.

Ceste passion se paist en soy, se flatte et se chatouille, voulant persuader qu’elle a raison, qu’elle est juste, s’excusant sur la malice et indiscretion d’autruy ; mais l’injustice d’autruy ne la sçauroit rendre juste, ny le dommage que nous recevons d’autruy nous la rendre utile : elle est trop estourdie pour rien faire de bien ; elle veust guarir le mal par le mal : donner à la cholere la correction de l’offense, seroit corriger le vice par soy-mesme. La raison, qui doit commander en nous, ne veust poinct de ces officiers-là, qui font de leur teste sans attendre son ordonnance ; elle veust tout faire par compas comme la nature, et pour ce la violence ne luy est pas propre. Mais quoy ! Direz-vous, la vertu verra-elle l’insolence du vice sans se despiter ? aura-elle si peu de liberté, qu’elle ne s’ose courroucer contre les meschans ? La vertu