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LIVRE I, CHAPITRE XXIV.


sont mesmes aux bestes, sont limités et courts, l’on en voit le bout ; selon eux, personne n’est indigent : de ceux-cy sera parlé cy-après au long ; car ce ne sont, à vray dire, passions. Les autres sont outre nature, procedans de nostre opinion et fantasie, artificiels, superflus, que nous pouvons, pour les distinguer par nom des autres, appeller cupidités. Ceux-cy sont purement humains ; les bestes ne sçavent que c’est, l’homme seul est desreiglé en ses appetits ; ceux-cy n’ont poinct de bout, sont sans fin, ce n’est que confusion : Naturalia desideria finita sunt : ex falsâ opinione nascentia, ubi desinant non habent : nullus enim terminus faldso est. Viâ eunti aliquid extremum est, error immensus est [1]. Dont, selon eux, personne ne peust estre riche et content. C’est d’eux proprement ce que nous avons dict au commencement de ce chapitre, et que nous entendons icy en ceste matiere des passions. C’est pour ceux-cy que l’on sue et travaille, ad supervacua sudatur [2], que l’on voyage par mer et par terre, que l’on guerroye, que l’on se tue, l’on se noye, l’on se trahist, l’on se perd ; dont a esté très bien dict, que cu-

  1. « Les désirs naturels sont bornés ; ceux qui proviennent d'une opinion fausse ne savent point s'arrêter ; car l'erreur n'a point de bornes. Il y a quelque chose au bout, pour celui qui marche dans le chemin, il n'y a rien pour celui qui s'égare ».
  2. « On sue (on se donne beaucoup de peine) pour des choses superflues ».