Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/226

Cette page n’a pas encore été corrigée
170
DE LA SAGESSE,


leurs compressions et dilatations outre et souvent contre nostre advis et volonté, tesmoin les esternuemens, baaillemens, saignées, larmes, hoquets et fluxions, qui ne sont de nostre liberté ; cecy est du corps ; l’esprit oublie, se souvient, croist, mescroit, et la volonté mesme, qui veust souvent ce que nous voudrions qu’elle ne voulust pas ; mais externes et apparentes ; le visage rougist, pallist, blesmist ; le corps engraisse et amaigrist, le poil grisonne, noircist, blanchist, croist, se herisse ; la peau fremist sans et contre nostre consentement. Est-ce à cause qu’en cela se monstre plus au vray la pouvreté et foiblesse humaine ? Si faict-elle au manger, boyre, douloir, lasser, se descharger, mourir, dont l’on n’a pas de honte. Quoy que soit, l’action n’est aucunement, en soy et par nature, honteuse ; elle est vrayement naturelle, et non la honte, tesmoin les bestes : que dis-je, les bestes ! La nature humaine, dict la theologie, se maintenant en son premier originel estat, n’y eust senti aucune honte ; comme de faict, d’où vient la honte que de foiblesse, et la foiblesse que du peché, n’y ayant rien en nature et de soy honteux ? N'estant la cause de cette honte ne la nature, il la faut chercher ailleurs ; elle est donc artificielle. Seroit-ce point une invention forgée au cabinet de Venus pour donner prix à la besogne, et en faire venir davantage l'envie ? C'est avec un peu d'eau allumer plus de feu, comme le mareschal ; c'est convier et embraser l'envie