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LIVRE I, CHAPITRE XXII.


devoient aymer ; car elle a faict qu’ès terres où il croist, il ne vient ny herbes, ny plantes, ny autre chose qui vaille, comme nous annonçant qu’ès esprits où le desir de ce metail naistra, il ne demourera aucune scintille [1] d’honneur ny de vertu. Que [2] se degrader jusques-là que de servir et demourer esclave de ce qui nous doibt estre subject : Apud sapientem divitiæ sunt in servitute, apud sultum in imperio [3]. Car l’avare est aux richesses, non elles à luy ; et il est dict avoir des biens comme la fievre, laquelle tient et gourmande l’homme, non luy elle. Que d’aymer ce qui n’est bon, ny ne peust faire l’homme bon, voire est commun et en la main des plus meschans du monde, qui pervertissent souvent les bonnes mœurs, n’amendent jamais les mauvaises ; sans lesquelles tant de sages ont rendu leur vie heureuse, et pour lesquelles plusieurs meschans ont eu une mort malheureuse : bref, attacher le vif avec le mort, comme faisoit Mezentius [4] , pour le faire languir et plus cruellement mourir, l’esprit avec l’excrement et escume de la terre, et embar-

  1. Etincelle, du latin scintilla.
  2. C'est-à-dire : « quelle folie que de dégrader, etc. » et plus bas : « quelle folie que d'aimer, etc. » Les mots quelle folie, sont sous-entendue, parce qu'ils ont été placés trois phrases plus haut.
  3. « La richesse est l'esclave du sage ; elle est le tyran de l'insensé ! »
  4. Le Mézence de l'Éneide.