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DE LA SAGESSE,


paré à nostre profict, ne nous semble rien : nous oublions enfin et mesprisons nous-mesmes nostre corps et nostre esprit pour ces biens ; et, comme l’on dict, nous vendons nostre cheval pour avoir du foin.

Avarice est passion vilaine et lasche des sots populaires, qui estiment les richesses comme le souverain bien de l’homme, et craignent la pouvreté [1] comme son plus grand mal, ne se contentent jamais des moyens necessaires qui ne sont refusez à personne ; ils poisent les biens dedans les balances des orphevres, mais nature nous apprend à les mesurer à l’aulne de la necessité. Mais quelle folie que d’adorer ce que nature mesme a mis soubs nos pieds, et caché soubs terre, comme indigne d’estre veu, mais qu’il faut fouler et mespriser ; ce que le seul vice de l’homme a arraché des entrailles de la terre, et mis en lumiere pour s’entretuer ! In lucem propter quæ pugnaremus excutimus : non erubescimus summa apud nos haberi, quæ fuerunt ima terrarum [2] . La nature semble, en la naissance de l’or, avoir aucunement presagi la misere de ceux qui le

  1. Ce mot est écrit mal à propos, ici et partout, povreté, dans l'édition de Bastien ; poureté dans celle de Frantin. La première édition écrit toujours pouvreté, pour povreté.
  2. « Nous ne craignons point de produire au grand jour des objets qui doivent être pour nous des sujets de dissentions et de combats ; nous ne rougissons point de mettre un grand prix, de l'honneur même à posséder ce qui était caché dans les entrailles de la terre ».