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LIVRE I, CHAPITRE XXI.


l’ambition ne se conduict jamais mieux selon soy que par une voye esgarée et inusitée.

C’est une vraye folie et vanité qu’ambition ; car c’est courir et prendre la fumée au lieu de la lueur, l’ombre pour le corps, attacher le contentement de son esprit à l’opinion du vulgaire, renoncer volontairement à sa liberté pour suIvre la passion des autres, se contraindre à desplaire à soy-mesme pour plaire aux regardans, faire pendre ses affections aux yeux d’autruy ; n’aymer la vertu qu’autant qu’elle plaist au vulgaire ; faire du bien non pour l’amour du bien, mais pour la reputation. C’est ressembler aux tonneaux qu’on perce : l’on n’en peust rien tirer qu’on ne leur donne du vent.

L’ambition n’a poinct de borne ; c’est un gouffre qui n’a ny fond ny rive ; c’est le vuide que les philosophes n’ont encore pu trouver en la nature, un feu qui s’augmente avec la nourriture que l’on luy donne. En quoy elle paye justement son maistre, car l’ambition est juste seulement en cela, qu’elle suffist à sa propre peine, et se met elle-mesme au tourment. La roue d’Ixion est le mouvement de ses desirs, qui tournent et retournent continuellement de haut en bas, et ne donnent aucun repos à son esprit.

Ceux qui veulent flatter l’ambition disent qu’elle sert à la vertu, et est un aiguillon aux belles actions ; car pour elle on quitte les autres vices, et enfin elle-mesme pour la vertu : mais tant s’en faut, l’ambition