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DE LA SAGESSE,

Ambition n’est pas vice ny passion de petits compagnons, ny de petits et communs efforts, et actions journalieres : la renommée et la gloire ne se prostitue pas à si vil prix ; elle ne se donne et ne suyt les actions, non seulement bonnes et utiles, mais encore rares, hautes, difficiles, estranges et inusitées. Ceste grande faim d’honneur et reputation basse et belistresse [1], qui la fait coquiner envers toutes sortes de gens, et par tous moyens, voire abjects, à quelque vil prix que ce soit, est vilaine et honteuse : c’est honte d’estre ainsi honoré : il ne faut point estre avide de gloire plus que l’on n’en est capable : de s’enfler et s’elever pour toute action utile et bonne, c’est monstrer le cul en haussant la teste.

L’ambition a plusieurs et divers chemins, et s’exerce par divers moyens. Il y a un chemin droict et ouvert, tel qu’ont tenu Alexandre, Cesar, Themistocles, et autres. Il y en a un autre oblique et couvert, que tiennent plusieurs philosophes et professeurs de pieté, qui viennent au devant par derriere ; semblables aux tireurs d’aviron, qui tirent et tendent au port, luy tournant le dos. Ils se veulent rendre glorieux de ce qu’ils mesprisent la gloire. Et certes il y a plus de gloire à fouler et refuser les grandeurs qu’ à les desirer et jouyr, comme dict Platon à Diogenes ; et

  1. Belistresse, adjectif formé de belitre, coquin, vil.