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DE LA SAGESSE,


l’amour a faict oublier le soin et la conduicte des affaires. Mais, quand tous deux seroient en esgale balance, l’ambition emporteroit le prix. Ceux qui veulent l’amour plus forte disent qu’elle tient à l’ame et au corps, et que tout l’homme en est possedé, voire que la santé en despend. Mais au contraire il semble que l’ambition est plus forte, à cause qu’elle est toute spirituelle. Et de ce que l’amour tient aussi au corps, elle en est plus foible ; car elle est subjecte à satieté, et puis est capable de remedes corporels, naturels et estrangers, comme l’experience le monstre de plusieurs qui, par divers moyens, ont adoucy, voire esteint l’ardeur et la force de ceste passion. Mais l’ambition n’est capable de satieté, voire elle s’esguise par la jouissance, et n’y a remede pour l’esteindre, estant toute en l’ame mesme et en la raison.

Elle vainq aussi l’amour, non-seulement de sa santé, de son repos (car la gloire et le repos sont choses qui ne peuvent loger ensemble), mais encore de sa propre vie, comme monstra Agrippina, mere de Neron, laquelle desirant et consultant pour faire son fils empereur, et ayant entendu qu’il le seroit, mais qu’il luy cousteroit la vie, respondist le vray mot d’ambition : Occidat, modo imperet ! [1]

Tiercement l’ambition force toutes les loix, et la conscience mesme, disant les docteurs de l’ambition,

  1. « Qu'il me tue, pourvu qu'il règne ! » Tacit. Ann. L. XIV.