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LIVRE I, CHAPITRE XXI.


l’appelle la chemise de l’ame ; car c’est le dernier vice duquel elle se despouille. Etiam sapientibus cupido gloriœ novissima exuitur [1].

L’ambition, comme c’est la plus forte et puissante passion qui soit, aussi est-elle la plus noble et hautaine ; sa force et puissance se monstre en ce qu’elle maistrise et surmonte toutes autres choses, et les plus fortes du monde, toutes autres passions et cupidités, mesme celle de l’amour, qui semble toutesfois contester de la primauté avec ceste-cy. Comme nous voyons en tous les grands, Alexandre, Scipion, Pompée, et tant d’autres qui ont courageusement refusé de toucher les plus belles dames qui estoient en leur puissance, bruslant au reste d’ambition, voire ceste victoire de l’amour servoit à leur ambition, sur-tout en Cesar ; car jamais homme ne fut plus adonné aux plaisirs amoureux, et de tout sexe et de toutes sortes, tesmoin tant d’exploits et à Rome et aux pays estrangers, ny aussi plus soigneux et curieux de sa personne : toutesfois l’ambition l’emportoit tousjours, jamais les plaisirs amoureux ne lui firent perdre une heure de temps qu’il pouvoit employer à son agrandissement : l’ambition regentoit en luy souverainement, et le possedoit pleinement. Nous trouvons au rebours qu’en Marc Antoine et autres, la force de

  1. « La passion de la gloire est la dernière dont les sages mêmes se dépouillent ». Tacit.