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DE LA SAGESSE,


quoy nous le courons à force. L’ambitieux veust estre le premier ; jamais ne regarde derriere, mais tousiours devant, à ceux qui le precedent ; et luy est plus grief d’en laisser passer un devant, qu’il ne prend de plaisir d’en laisser mille derriere : Habet hoc vitium omnis ambitio, non respicit [1]. Elle est double, l’une de gloire et honneur, l’autre de grandeur et commandement : celle-là est utile au monde, et en certains sens permise, comme il sera dict ; ceste-cy pernicieuse.

L’ambition a sa semence et sa racine naturelle en nous : il y a un proverbe qui dict que nature se contente de peu, et un autre tout contraire, que nature n’est jamais saoule ny contente, tousiours desire, veust monter et s’enrichir, et ne va poinct seulement le pas, mais court à bride abbatue, et se rue à la grandeur et à la gloire : Natura nostra umperii est avida, et ad implendam cupiditatem prœceps [2] . Et de force qu’ils courent, souvent se rompent le col, comme tant de grands hommes à la veille et sur le poinct d’entrer et jouyr de la grandeur qui leur avoit tant cousté ; c’est une passion naturelle, très puissante, et enfin qui nous laisse bien tard, dont quelqu'un

  1. « Un des vices de l'ambition c'est qu'elle ne regarde point en arrière ». Sen.
  2. « La nature de l'homme est d'être avide de commander, et rien ne l'arrête pour satisfaire cette passion  »