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DE LA SAGESSE,


ou esviter ce qui luy semble bon ou mauvais. Et lors tout ainsi comme une rouë qui est desia esbranlée venant à recepvoir un nouveau mouvement, tourne de grande vistesse, aussi l’ame, desja esmuë de la premiere apprehension, adjoustant un second effort au premier, se manie avec beaucoup plus de violence qu’auparavant, et soubleve des passions bien plus puissantes et plus difficiles à dompter ; d’autant qu’elles sont doubles, et ja accouplées aux premieres, se liant et soustenant les unes les autres par un mutuel consentement ; car les premieres qui se forment sur l’object du bien apparent, entrant en consideration des moyens de l’acquerir, excitent en nous ou l’espoir ou le desespoir. Celles qui se forment sur l’object du mal à venir, font naistre ou la peur, ou au contraire l’audace : du mal present, la cholere, et le courroux, lesquelles passions sont estrangement violentes, et renversent entierement la raison, qu’elles trouvent desja esbranlée. Voilà les principaux vents d’où naissent les tempestes de nostre ame ; et la caverne d’où ils sortent n’est que l’opinion (qui est ordinairement faulse, vague, incertaine, contraire à nature, verité, raison, certitude) que l’on a que les choses qui se presentent à nous sont bonnes ou mauvaises : car les ayant apprehendées telles, nous les recherchons ou fuyons avec vehemence ; ce sont nos passions.