Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/207

Cette page n’a pas encore été corrigée
151
LIVRE I, CHAPITRE XIX.


est de la raison, sont souvent deceus par l’apparence, et jugent pour amy ce qui nous est ennemy. Quand sur ce pensement, et sans attendre le commandement de la raison, ils viennent à remuer la puissance concupiscible et l’irascible, ils font une sedition et un tumulte en nostre ame, pendant lequel la raison n’y est point ouye, ny l’entendement obey.

Voyons maintenant leurs regimens, leurs rangs, genres et especes. Toute passion s’esmeut sur l’apparence et opinion ou d’un bien ou d’un mal : si d’un bien, et que l’ame le considere tel tout simplement, ce mouvement s’appelle amour ; s’il est present et dont l’ame jouysse en soy-mesme, il s’appelle plaisir et joye ; s’il est à venir, s’appelle desir : si d’un mal, comme tel simplement, c’est hayne ; s’il est present en nous-mesmes, c’est tristesse et douleur ; si en autruy, c’est pitié ; s’il est à venir, c’est crainte. Et celles-cy qui naissent en nous par l’object du mal apparent que nous fuyons et abhorrons, descendent plus avant en nostre cœur, et s’enlevent plus difficilement. Voylà la premiere bande des seditieux qui troublent le repos de nostre ame, sçavoir en la partie concupiscible ; desquels encore que les effects soyent très dangereux, si ne sont-ils pas si violens que de ceux qui les suyvent : car ces premiers mouvemens-là, formez en ceste partie par l’object qui se presente, passent incontinent en la partie irascible, c’est-à-dire en cet endroict où l’ame cherche les moyens d’obtenir