Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/203

Cette page n’a pas encore été corrigée
147
LIVRE I, CHAPITRE XIX.


ces mouvemens, et comment ils naissent et s’eschauffent en nous ; ce que l’on peust representer par divers moyens et comparaisons, premierement pour le regard de leur esmotion et impetuosité. L’ame, qui n’est qu’une au corps, a plusieurs et très diverses puissances, selon les divers vaisseaux où elle est retenue, instrumens desquels elle se sert, ès objects qui luy sont proposés. Or, quand les parties où elle est enclose ne la retiennent et occupent qu’ à proportion de leur capacité, et selon qu’il est necessaire pour leur droict usage, ses effects sont doux, benins et bien reiglés : mais quand au contraire ses parties prennent plus de mouvement et de chaleur qu’il ne leur en faut, elles s’alterent et deviennent dommageables ; comme les rayons du soleil, qui, vaguans à leur naturelle liberté, eschauffent doucement et tiedement ; s’ils sont recueillis et remis au creux d’un miroir ardent, bruslent et consument ce qu’ils avoient accoustumé de nourrir et vivifier. Au reste elles ont divers degrés en leur force et esmotion, et sont en ce distinguées par plus et moins : les mediocres se laissent gouster et digerer, s’expriment par paroles et par larmes ; les grandes et extremes estonnent toute l’ame, l’accablent et luy empeschent la liberté de ses actions :

Curæ leves loquuntur, ingentes stupent[1].
  1. « Les douleurs légères s'exhalent en paroles, les grandes