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LIVRE I, CHAPITRE XVIII.


rien de propre. Tiercement c’est celle qui nous rend et nous denomme bons ou meschans, qui nous donne la trempe et la teincture. Comme de tous les biens qui sont en l’homme, la preud’hommie est le premier et principal, et qui de loin passe la science, l’habilité ; aussi faut-il dire que la volonté où loge la bonté et vertu est la plus excellente de toutes : et de faict pour entendre et sçavoir les belles, bonnes et honnestes choses, ou meschantes et deshonnestes, l’homme n’est bon ny meschant, honneste ny deshonneste, mais pour les vouloir et aymer : l’entendement a bien d’autres preeminences ; car il est à la volonté comme le mary à la femme, le guide et flambeau au voyager, mais en celles icy il cede à la volonté.

La vraye difference de ces facultés est en ce que par l’entendement les choses entrent en l’ame, et elle les reçoit, comme portent les mots d’apprendre, concevoir, comprendre, vrays offices d’icelui : et y entrent non entieres et telles qu’elles sont, mais à la proportion, portée et capacité de l’entendement, dont les grandes et hautes se raccourcissent et abaissent aucunement par ceste entrée, comme l’ocean n’entre tout entier en la mer mediterranée, mais à la proportion de l’emboucheure du destroit de Gibraltar. Par la volonté au contraire, l’ame sort hors de soy et va se loger et vivre ailleurs en la chose aimée, en laquelle elle se transforme, et en porte le nom,