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LIVRE I, CHAPITRE XV.


pas assez de force et vigueur pour se garantir et sauver d’un tel deluge.

La troisiesme, beaucoup plus voisine, est la maladie et corruption de la volonté, et la force des passions ; c’est un monde renversé : la volonté est née pour suyvre l’entendement comme son guide, son flambeau ; mais estant corrompue et saisie par la force des passions, force aussi et corrompt l’entendement, et c’est d’où vient la pluspart des fauls jugemens ; l’envie, la malice, la hayne, l’amour, la crainte, nous font regarder, juger et prendre les choses toutes autres et tout autrement qu’il ne faut, dont l’on crie tant (juger sans passion) : de là vient que l’on obscurcist les belles et genereuses actions d’autruy par des viles interpretations ; l’on controuve des causes, occasions et intentions mauvaises ou vaines ; c’est un grand vice et preuve d’une nature maligne, et jugement bien malade : il n’y a pas grande subtilité ny suffisance en cela, mais de malice beaucoup. Cela vient d’envie qu’ils portent à la gloire d’autruy, ou qu’ils jugent des autres selon eux, ou bien qu’ils ont le goust alteré et la veue si troublée qu’ils ne peuvent concevoir la splendeur de la vertu en sa pureté naïfve. De ceste mesme cause et source vient que nous faisons valoir les vertus et les vices d’autruy, et les estendons plus qu’il ne faut, des particularités en tirons des consequences et conclusions generales : s’il est amy, tout luy sied bien, ses vices mesmes seront