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DE LA SAGESSE,


diocrité, que qui l’a tant elevé et transcendant, qui ne sert qu’à se donner du tourment et aux autres. Des grandes amitiez naissent les grandes inimitiez ; des santez vigoureuses les mortelles maladies : aussi des rares et vives agitations de nos ames les plus excellentes manies et plus detraquées. La sagesse et la folie sont fort voisines. Il n’y a qu’un demy tour de l’une à l’autre : cela se void aux actions des hommes insensez. La philosophie nous apprend que la melancholie est propre à tous les deux. De quoy se faict la subtile folie, que de la plus subtile sagesse ? C’est pourquoy, dict Aristote, il n’y a poinct de grand esprit sans quelque meslange de folie ; et Platon, qu’en vain un esprit rassis et sain frappe aux portes de la poësie. C’est en ce sens que les sages et plus braves poëtes ont approuvé de folier [1] et sortir des gonds quelquesfois. Insanire jucundum est ; dulce desipere in loco : non potest grande et sublime quidquam nisi mota mens, et quandiù apud se est [2].

C’est pourquoy on a eu bonne raison de luy donner des barrieres estroites : on le bride et le garrotte

  1. Faire des folies.
  2. « Il est agréable de faire le fou, il est doux de le faire à propos : il n'y a qu'un esprit agité, et hors de soi, qui puisse faire quelque de grand et de sublime ». Une partie de cette citation est prise dans Horace, qui termine son ode à Virgile (L. IV) par ce vers :
    Dulce est desipere in loco.