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LIVRE I, CHAPITRE XV.


brider et contraindre, comme une injuste tyrannie ; entreprendra d’examiner tout, et juger la pluspart des choses plausiblement receues du monde, ridicules et absurdes, trouvant par tout de l’apparence, passera par dessus tout ; et ce faisant, il est à craindre qu’il s’esgare et se perde ; et, de faict, nous voyons que ceux qui ont quelque vivacité extraordinaire et quelque rare excellence, comme ceux qui sont au plus haut estage de la moyenne classe cy-dessus dicte, sont le plus souvent desreiglés en opinions et en mœurs. Il y en a bien peu à qui l’on se puisse fier de leur conduicte propre, et qui puissent, sans temerité, voguer en la liberté de leurs jugemens au-delà les opinions communes. C’est miracle de trouver un grand et vif esprit bien reiglé et moderé ; c’est un très dangereux glaive qui ne le sçait bien conduire ; et d’où viennent tous les desordres, revoltes, heresies et troubles au monde, que de là [1] ? magni errores non nisi ex magnis ingenüs : nihil sapientiœ odiosius acumine nimio [2] . Sans doubte celuy a meilleur temps, plus longue vie, est plus heureux et beaucoup plus propre au regime de la republique, dict Thucydide, qui a l’esprit mediocre, voire au-dessoubs de me-

  1. C'est-à-dire, si ce n'est pas de là.
  2. « Les grandes erreurs ne proviennent que des grands génies : il n'y a de plus odieux pour la sagesse, que trop d'esprit et de subtilité. »