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DE LA SAGESSE,


chimedes et tant d’autres. Or l’art et l’invention semblent non seulement imiter nature, mais la passer, et ce non seulement en particulier et individu (car il ne se trouve poinct de corps d’homme ou beste en nature si universellement bien faict, comme il se peust representer par les ouvriers) ; mais encore plusieurs choses se font par art, qui ne se font poinct par nature : j’entends outre les compositions et mixtions, qui est le vray gibbier et le propre subject de l’art, tesmoin les extractions et distillations des eaux et des huiles faictes de simples ; ce que nature ne faict poinct. Mais en tout cela il n’y a pas lieu de si grande admiration que l’on pense ; et, à proprement et loyalement parler, il n’y a point d’invention que celle que Dieu revele : car celles que nous estimons et appellons telles, ne sont qu’observations des choses naturelles, argumentations et conclusions tirées d’icelles, comme la peincture et l’optique des ombres, les horloges solaires des ombres des arbres, l’imprimerie des marques et sceaux des pierres precieuses.

De tout cela il est aisé à voir combien l’esprit humain est temeraire et dangereux, mesmement s’il est vif et vigoureux ; car estant si remuant, si libre et universel, et faisant ses remuemens si desreiglement, usant si hardiment de sa liberté par tout, sans s’asservir à rien, il vient à secouer aisement les opinions communes et toutes reigles par lesquelles l’on le veust