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LIVRE I, CHAPITRE XV.


doyans. Le plus grand argument de la verité, c’est le general consentement du monde. Or le nombre des fols surpasse de beaucoup celuy des sages : et puis comment est-on parvenu à ce consentement, que par contagion et applaudissement donné sans jugement et cognoissance de cause, mais à la suitte de quelques-uns qui ont commencé la danse ?

L’autre fin, moins naturelle, mais plus ambitieuse, est l’invention, à laquelle il tend comme au plus haut poinct d’honneur, pour se monstrer et faire valoir ; c’est ce qui est plus estimé et semble estre une image de divinité. De cette suffisance d’inventer sont produicts les ouvrages qui ont ravy tout le monde en admiration ; et s’ils ont esté avec utilité publique, ils ont deïfié leurs autheurs. Ceux qui ont esté en subtilité seule sans utilité, ont esté en la peincture, statuaire, architecture, perspective, comme la vigne de Zeuxis, la Venus d’Apelles, la statue de Memnon, le cheval d’airain, la colombe de bois d’Archytas, la vache de Myron, la mousche et l'aigle de Montroyal [1] , la sphœre de Sapor, roi de Perse, celle d'Ar-

  1. Je ne sais quel est ce nom de Montroyal, ni quelles sont ses deux merveilles : les autres ont très connues. Ce nom de Montroyal serait-il la traduction de celui du célèbre astronome Regiomontanus ? La première édition ne parle ni de la mouche et de l'aigle de Montroyal, ne de la vache de Myron, ni de la sphère d'Archimède. Ce sont des additions à la seconde.