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DE LA SAGESSE,


La femme de Socrates redoubloit son dueil de ce que les juges le faisoient mourir injustement. Comment ! feist-il, aimerois-tu mieux que ce fust justement ? Il n’y a aucun bien, dict un sage, sinon celui à la perte duquel l’on est preparé : in æquo enim est dolor amissae rei et timor amittendæ [1]. Au rebours, dict l’autre, nous serrons et embrassons le bien d’autant plus estroit et avec plus d’affection, que nous le voyons moins seur, et craignons qu’il nous soit osté. Un philosophe cynique demandoit à Antigonus une dragme d’argent : ce n’est pas present de roy, respondist-il : donne-moy donc un talent, dict le philosophe. Ce n’est pas present pour un cynique. Quelqu’un disoit d’un roy de Sparte fort clement et debonnaire : il est fort bon ; car il l’est mesme aux meschans. Comment seroit-il bon, dict l’autre, puis qu’il n’est pas mauvais aux meschans ? Voilà comme la raison humaine est à tous visages, un glaive double, un baston à deux bouts, ogni medaglia ha il suo riverso [2]. Il n’y a raison qui n’en aye une contraire, dict la plus saine et plus seure philosophie : ce qui se monstreroit par tout qui voudroit. Or ceste grande volubilité et flexibilité vient de plusieurs causes ; de la perpetuelle alteration et mouvement du corps, qui jamais n’est deux fois

  1. « Car la crainte de perdre un chose est égale à la douleur qu'on ressent de l'avoir perdue ».
  2. « Toute médaille a son revers ».