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LIVRE I, CHAPITRE XV.


C’est le soulier de Theramenes bon à tous pieds : il ne reste que la suffisance de le sçavoir contourner ; il va tousjours et de tort et de travers, avec le mensonge comme avec la verité. Il se donne beau jeu, et trouve raison apparente par-tout, tesmoin que ce qui est impie, injuste, abominable en un lieu, est pieté, justice et honneur ailleurs ; et ne se sçauroit nommer une loy, coustume, creance receue ou rejettée generallement par-tout, les mariages entre les proches, les meurtres des enfans, des parens vieils, communication [1] des femmes, condamnez en un lieu, legitimes en d’autres [2]. Platon refusa la robe brodée et parfumée que luy offrist Dionysius, disant estre homme et ne se vouloir vestir en femme ; Aristippus l’accepta, disant que l’accoustrement ne peut corrompre un chaste courage : Diogenes lavant ses choux, et le voyant passer, luy dict : si tu sçavois vivre de choux, tu ne ferois la cour à un tyran. Aristippus luy respond : si tu sçavois vivre avec les roys, tu ne laverois pas des choux. On preschoit Solon de ne pleurer poinct la mort de son fils, car c’estoient larmes inutiles et impuissantes. C’est pour cela, dict-il, qu’elles sont plus justes, et que j’ai raison de pleurer.

  1. Communauté des femmes.
  2. Montaigne, dans son chapitre vingt-deux du livre premier, cite les mêmes exemples, mais s'étend bien plus sur l’extrême diversité des lois et des coutumes.