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LIVRE I, CHAPITRE XV.


fascheux et importun, et qui, comme un affronteur et joueur de passe-passe, sous ombre de quelque gentil mouvement subtil et gaillard, forge, invente, et cause tous les maux du monde, et n’y en a que par luy.

Il y a beaucoup plus grande diversité d’esprits que de corps ; aussi y a-il plus grand champ, plus de pieces et plus de façon : nous en pouvons faire trois classes, dont chascune a encore plusieurs degrés [1]. En celle d’en bas sont les petits, foibles et comme brutaux, tous voisins des bestes, soit que cela advienne de la premiere trempe, c’est-à-dire de la semence et temperament du cerveau trop froid et humide, comme, entre les bestes, les poissons sont infimes, ou pour n’avoir esté aucunement remués et reveillés, mais abandonnés à la rouille et stupidité : de ceux-là n’en faut faire mise ny recepte, et ne s’en peust dresser ny establir une compagnie constante ; car ils ne peuvent pas seulement suffire pour eux-mesmes en leur particulier, et faut qu’ils soient tousiours en la tutelle d’autruy ; c’est le commun et bas peuple, qui vigilans sertit, mortua cui vita est, prope jam vivo atque videnti [2], qui ne se sent, ne se juge. En celle d’en haut sont les grands et très rares esprits, plustost demons qu’hommes com-

  1. Voy. ceci plus developpé, au chapitre quarante-trosième.
  2. « Qui tout en veillant, dort..., dont la vie ressemble à la mort, qui parait seulement près de vivre et de voir ».