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DE LA SAGESSE,


toutes diverses en action, tesmoin qu’un est excellent en l’une d’icelles, et foible en l’autre : souvent qui excelle en esprit et subtilité, est moindre en jugement et solidité.

Je n’empesche pas que l’on ne chante les louanges et grandeurs de l’esprit humain, de sa capacité, vivacité, vîtesse : je consens que l’on l’appelle image de Dieu vive, un degoust [1] de l’immortelle substance, une fluxion de la divinité, un esclair celeste, auquel Dieu a donné la raison comme un timon animé pour le mouvoir avec reigle et mesure, et que ce soit un instrument d’une complette harmonie ; que par luy y a parentage entre Dieu et l’homme ; et que, pour le luy ramentevoir il luy a tourné les racines vers le ciel, affin qu’il eust tousiours sa veue vers le lieu de sa naissance ; bref qu’il n’y a rien de grand en la terre que l’homme, rien de grand en l’homme que l’esprit. Si l’on monte jusques-là, l’on monte au-dessus du ciel. Ce sont tous mots plausibles dont retentissent les escholes et les chaires.

Mais je desire qu’après tout cela l’on vienne à bien sonder et estudier à cognoistre cet esprit ; car nous trouverons qu’après tout c’est et à soy et à autruy un très dangereux outil, un furet qui est à craindre, un petit brouillon et troublefeste, un esmerillon facheux

  1. Degoust, qu'on devrait écrire degout, puisqu'il vient de goutte, gutta, signifie ici une émanation.