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LIVRE I, CHAPITRE XIV.


l’usage d’iceux, affin que l’ame fist mieux et plus librement ses affaires. Que si l’on dict que l’ame estant sçavante par nature, et sans les sens, tous les hommes seroient sçavants, et tousjours entendroient et raisonneroient de mesme. Or est-il qu’il y en a tant de stupides, et que les entendus font plus foiblement leurs fonctions en un temps qu’en l’autre. L’ame vegetative est bien plus vigoureuse en la jeunesse, jusques à refaire les dents tombées, qu’en la vieillesse et au rebours l’ame raisonnable agist plus foiblement en la jeunesse qu’en la vieillesse, et en certain estat de santé ou maladie qu’en autre. Mais c’est mal argumenté ; car, quant au premier, on dict que la faculté et vertu d’entendre n’est pas donnée pareille à tous, ains avecques grande inequalité, dont est venu ce dire ancien et noble en la bouche des sages, que l’intellect agent est donné à fort peu, et cette inequalité prouve que la science ne vient des sens ; car, comme a esté dict, les plus avantagés aux sens, sont souvent les plus desavantagés en science. Quant au second, que l’on ne faict ses fonctions tousjours de mesme, il vient de ce que les instruments, desquels l’ame a besoing pour agir, ne peuvent pas tousjours estre disposés comme il faut ; et s’ils le sont pour une sorte de facultés et fonctions, ne le sont pour les autres. Le temperament du cerveau par lequel l’ame agist est divers et changeant, estant chaud et humide : en la jeunesse est bon pour la vegetative, et mal pour la rai-