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DE LA SAGESSE,


touché cy-dessus, et renvoyé en ce lieu, les semences de toutes sciences et vertus sont naturellement esparses et insinuées en nos esprits, dont ils peuvent vivre riches et joyeux de leur propre ; et pour peu qu’ils soyent cultivés, ils foisonnent et abondent fort. Puis elle est injurieuse à Dieu et à nature ; car c’est rendre l’ame raisonnable de pire condition que toute autre chose, que la vegetative et sensitive, qui s’exercent d’elles-mesmes, et sont sçavantes à faire leurs fonctions, comme a esté dict. Que les bestes lesquelles sans discipline des sens cognoissent plusieurs choses, les universels par les particuliers, par l’aspect d’un homme cognoissent tous hommes, sont advisés à éviter les dangers et choses invisibles, et poursuivre ce qui leur est convenable pour eux et leurs petits : et seroit chose honteuse et absurde que cette faculté si haute et divine questast et mendiast son bien de choses si viles et caduques, comme sont les sens : et puis enfin que peust l’intellect apprendre des sens, lesquels n’aperçoivent que les simples accidens ; car les formes, natures, essences des choses nullement, moins encores les choses universelles, les secrets de nature, et toutes choses insensibles : et si l’ame estoit sçavante par l’ayde des sens, il s’ensuivroit que ceux qui ont les sens plus entiers et plus vifs, seroient plus ingenieux et plus sçavants, et se voyt le contraire souvent, qu’ils ont l’esprit plus lourd et sont plus mal habiles, et se sont plusieurs privés à escient de