Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/159

Cette page n’a pas encore été corrigée
103
LIVRE I, CHAPITRE XIV.


chascun desquels le sens s’exerce tout entier. D’où vient que celuy qui est blessé en l’un ou deux de ces trois ventres, comme le paralytique, ne laisse pas d’exercer toutes les trois, bien que plus foiblement, ce qu’il rie feroit si chascune faculté avoit son creux à part.

Aucuns ont pensé que l’ame raisonnable n’estoit point organique, et n’avoit besoing, pour faire ses fonctions, d’aucun instrument corporel, pensant par là bien prouver l’immortalité de l’ame : mais sans entrer en un labyrinthe de discours, l’experience oculaire et ordinaire dement cette opinion, et convainq du contraire ; car l’on sçait que tous hommes n’entendent ny ne raisonnent de mesme et egalement, ains avec très grande diversité ; et un mesme homme aussi change, et en un temps raisonne mieux qu’en un autre, en un aage, en un estat et certaine disposition, qu’en un autre, tel mieux en santé qu’en maladie, et tel autre mieux en maladie qu’en santé : un mesme en un temps prevaudra en jugement, et sera foible en imagination. D’où peuvent venir ces diversités et changemens, sinon de l’organe et instrument, changeant d’estat ? et d’où vient que l’yvrognerie, la morsure du chien enragé, une fievre ardente, un coup en la teste, une fumée montant de l’estomach, et autres accidens, feront culbuter et renverseront entièrement le jugement, tout l’esprit intellectuel et toute la sagesse de Grece, voyre contraindront l’ame de desloger