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LIVRE I, CHAPITRE XII.


tre, l’agite, l’anime, l’aigrist, l’appaise, l’irrite, le contriste, le resjouist, lui imprime toute telle passion qu’il veut, manie et paistrit l’ame de l’escoutant, et la plie à tout sens, le fait rougir, blaismir, pallir, rire, plorer, trembler de peur, tremousser d’estonnement, forcener de cholere, tressaillir de joye, outrer et transir de passion. Pour le regard de tous, la parole est la main de l’esprit, par laquelle, comme le corps par la sienne, il prend et donne, il demande conseil et secours, et le donne. C’est le grand entremetteur et courretier : par elle le trafficq se faict, merx à Mercurio [1] , la paix se traicte, les affaires se manient, les sciences et les biens de l’esprit se debitent et distribuent ; c’est le lien et le ciment de la societé humaine (moyennant qu’il soit entendu : car, dict un ancien, l’on est mieux en la compagnie d’un chien cognu, qu’en celle d’un homme duquel le langage est incognu, ut externus alieno non sit hominis vice [2]) : bref l’outil et instrument à toutes choses

  1. « Merx, commerce, vient de Mercurius, Mercure ». C'est le contraire : merx ne vient pas de Mercurius ; c'est Mercurius qui vient de merx, cis, et de la foule urio, formée du latin uro : il signifie par conséquent le Dieu qui recherche la marchandise et le lucre. Mercure est , en effet, à la fois le patron du commerce et le dieu des voleurs.
  2. « De manière qu'un étranger n'est pas un homme pour celui qui ne l'entend pas.