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LIVRE I, CHAPITRE XII.


mais encore des especes, et de toutes choses spirituelles et divines, ausquelles la veue sert plustost de destourbier [1] que d’ayde ; dont y a eu non seulement plusieurs aveugles grands et sçavans, mais d’autres encore qui se sont privez de veue à escient, pour mieux philosopher, et nul jamais de sourd. C’est par où l’on entre en la forteresse, et s’en rend-on maistre ; l’on ploye l’esprit en bien ou en mal, tesmoin la femme du roi Agamemnon, qui fut contenue au devoir de chasteté au son de la harpe [2], et David qui, par mesme moyen, chassoit le mauvais esprit de Saül, et le remettoit en santé, et le joueur de fleutes, qui amollissoit et roidissoit la voix de ce grand orateur Gracchus. Bref la science, la verité et la vertu, n’ont point d’autre entremise ny d’entrée en l’ame, que l’ouye : voire la chrestienté enseigne que la foy et le salut est par l’ouye, et que la veuë y nuict plus qu’elle n’y ayde ; que la foy est la creance des choses qui ne se voyent ; laquelle est acquise par l’ouye : et elle appelle ses apprentifs et novices auditeurs [3] κατεχουμενη. Encore adjousteray-je ce mot, que l’ouye apporte un grand secours aux tenebres et aux endor-

  1. D'obstacle, d’empêchement ; du latin disturbare
  2. La musique produit aujourd’hui un effet contraire
  3. Catéchumènes, qui sont catéchisés, c'est-à-dire, instruits des premiers principes. Du grec, Καταχωρίζω, je catéchise, j'enseigne les élémens de la religion.