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LIVRE I, CHAPITRE XI.


parties principales, outils essentiels de la science, se trompent l’un l’autre. Que les sens trompent et forcent l’entendement, il se voyt ès sens, desquels les uns eschauffent en furie, autres adoucissent, autres chatouillent l’ame. Et pourquoy ceux qui se font saigner, inciser, cauteriser, destournent-ils les yeux, sinon qu’ils sçavent bien l’authorité grande que les sens ont sur leurs discours ? La veue d’un grand precipice estonne celuy qui se sçait bien en un lieu asseuré, et enfin le sentiment ne vainq-il pas et renverse toutes les belles resolutions de vertu et de patience ? Que aussi au rebours les sens sont pipez par l’entendement, il appert, parce que l’ame estant agitée de cholere, d’amour, de haine, et autres passions, nos sens voyent et oyent les choses autres qu’elles ne sont ; voire quelquesfois nos sens sont souvent hebetez du tout par les passions de l’ame, et semble que l’ame retire au dedans et amuse les operations des sens ; l’esprit empesché ailleurs, l’œil n’apperçoit pas ce qui est devant, et ce qu’il voyt ; la veue et la raison jugeant tout diversement de la grandeur du soleil, des astres, de la figure d'un baston en l'eau.

Aux sens de nature les animaux ont part comme nous, et quelquesfois plus : car aucuns ont l’ouye plus aiguë que l’homme ; autres la veue ; autres le fleurer [1] ; autres le goust : et tient-on qu’en l’ouye le

  1. Voyez la note *6 ci-dessus.